"Il était une fois, un troupeau de chèvres Cachemire qui habitait une vieille vieille bergerie perdue au fond des montagnes du Mercantour. Ces jolies petites chèvres Cachemire, toutes blanches avaient une bergère, Corinne, qui les adorait. Elles avaient chacunes un nom et Corinne connaissait chacunes d'elles, ne se trompant jamais pour les reconnaître, et ce, en dépit de leur blancheur. Il y avait : Câline, qui adore quand on la gratte derrière les cornes ; Douce, qui a le poil le plus doux du troupeau, Tic Tac, très espiègle ; Gourmande, Curieuse, Alpi, Icare,... Durant la journée, qu'elles étaient bien dans les montagnes, tantôt dans un pré, tantôt dans un sous-bois ou une clairière ou encore à jouer dans les pierriers. Vers midi, elles faisaient la sieste, souvent au soleil et profitaient ainsi des journées ensoleillées des montagnes du Val d'Entraunes. Le soir, Corinne les faisait rentrer et leur donnait de l'orge. Que c'est bon, l'orge!! Une nuit de janvier, vers 2h du matin, Corinne se réveille. Elle entend le loup hurler tout près, si près, qu'il est peut-être à moins de 200m. Elle se lève, va vérifier si tout va bien à la bergerie. Elle a peur pour ses chèvres. Les chèvres dorment paisiblement bercées par un ciel aux milliards d'étoiles. Rassurée, Corinne retourne se coucher. Le lendemain soir, Corinne rentre ses chèvres comme à l'accoutumée, leur donne l'orge, puis pâlit. Elle ne voit pas Icare, sa plus belle chèvre... Très inquiète, elle va chercher une lampe torche et s'engouffre dans la nuit à la recherche d'Icare. Où peut-elle bien être? D'habitude, elle ne s'écarte jamais du troupeau... Serait-ce le loup? Corinne grimpe un versant, traverse un autre vallon, saute un torrent. Elle appelle. Icare n'est nulle part. Icare ne répond pas. Le coeur gonflé de chagrin, après plusieurs heures de recherche dans la nuit d'hiver, Corinne rentre, extenuée. Et le lendemain, la vie suit son cours à l'Oustamura, les chèvres sortent tout le jour puis rentrent le soir quand elles entendent Corinne les appeler en yodelant et en faisant sonner la grosse cloche qui avait dû, jadis, faire la fierté d'une de nos vaches de montagne. Corinne n'en croit pas ses yeux : Icare est là! Corinne la serre dans ses bras et pleure de joie. Elle croyait ne plus jamais la voir. Corinne se rend compte alors qu'Icare a eu un petit. Où est-il? Les chèvres sont revenues au grand galop. Il n'a certainement pas pu suivre le troupeau. Le pauvre, il est tout seul, dans la montagne, par une nuit froide de janvier. Heureusement, il n'y a pas de neige. Icare, dans la bergerie appelle son petit d'une voix plaintive. Sans hésiter, Corinne, comme la veille, prend la lampe torche et part dans la nuit à la recherche du petit. Elle sait qu'elle a très peu de chances de le trouver. Il peut être n'importe où, sous n'importe quel buisson... et la montagne est si vaste. Une fois encore, après plusieurs heures de recherches infructueuses, Corinne doit se résigner a rentrer. Le jour suivant, quand elle fait sortir ses chèvres, elle les guide vers l'endroit d'ou elles étaient redescendues la veille, espérant que le petit retrouve ainsi sa mère. Mais nos petites chèvres, d'une petite pousse d'herbe à une autre, dérivent rapidement vers un autre secteur. Icare, sans quitter le troupeau, appelle son petit, mais Icare n'a presque pas de voix et son appel est presqu'un murmure. Le soir venant, le petit était ainsi, sans sa mère, depuis une nuit et un jour. Il n'avait pu téter. Corinne savait que, si elle ne le retrouvait pas le soir même, il n'aurait plus de chances de survie. Les chèvres étaient rentrées d'elles-même à la bergerie. Pour sauver le petit, il fallait à tout prix les ramener en montagne. Corinne les appelle. Elles ne veulent pas suivre, elles veulent leur orge. Retourner en montagne alors que la nuit va tomber est contraire aux habitudes. Comment faire? Au bout d'une heure de patients efforts, les chèvres parviennent enfin aux abords de l'endroit où Corinne pense qu'il y a une chance de trouver le petit. Icare continue de murmurer après son chevreau disparu. Et, tout à coup, Corinne a l'impression d'entendre une petite voix qui répond à une cinquantaine de mètres. Elle fonce à travers les broussailles et les taillis et, tombe nez-à-nez avec un magnifique petit chevreau. Blanc, il a la peau noire, de sorte que sa bouche, son petit nez ainsi que le tour de ses yeux sont noirs. Ses sourcils sont dessinés ainsi qu'une fine ligne noire qui lui parcourt le dos. Icare arrive et cajole avec amour son petit rescapé qui tète goulûment. C'est l'histoire du petit Issen qui est né il y a une semaine. Depuis, Icare le couve du regard et ne s'en sépare pas. Deux jours après les retrouvailles, 50cm de neige sont tombés. Les chèvres se calfeutrent dans la bergerie. Le temps s'écoule désormais à la vitesse des flocons qui enveloppent nos montagnes d'un doux manteau de silence..."
Corinne, Entraunes, le 04 février 2012
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